Histoire

L’Ombre de Makandal: un polar au cœur de l’enfer colonial 

today26 mai 2025 108

Background
share close

Paru aux éditions du 81, le roman de Jean-Louis Donnadieu conjugue enquête criminelle et fresque historique, dans une Saint-Domingue coloniale à la fois prospère, brutale et explosive. Entretien avec l’auteur, historien et passionné d’histoire coloniale.

Un genre nouveau : le polar historique franco-haïtien

Avec L’Ombre de Makandal, Jean-Louis Donnadieu ne signe pas seulement un roman policier historique : il ouvre un nouveau territoire littéraire, celui du polar historique franco-haïtien. « Il n’y en avait pas auparavant », affirme-t-il avec conviction. L’ambition de l’auteur est claire : faire sortir les connaissances accumulées sur la société esclavagiste du cercle des chercheurs, et les rendre accessibles à un public plus large.

« On sait beaucoup de choses aujourd’hui sur la société de Saint-Domingue du XVIIIe siècle, mais tout cela reste dans les amphis ou les revues savantes », déplore-t-il. Pour toucher un lectorat non spécialiste, il choisit la fiction, sans pour autant sacrifier la rigueur historique. Le roman devient alors un outil de vulgarisation exigeante, à la fois immersif et documenté.

Une immersion dans la colonie la plus riche du monde

À la fin du XVIIIe siècle, la colonie française de Saint-Domingue est un pilier de l’économie française : première productrice mondiale de sucre et de café, elle concentre près des deux tiers de la population esclave de l’empire colonial français. Elle représente à elle seule environ un tiers des exportations françaises, dont 80 % proviennent de la seule partie française de l’île. « Une véritable poule aux œufs d’or », selon Donnadieu. Mais ce mirage de richesse repose sur une violence systémique : travail forcé, racisme institutionnalisé, hiérarchie raciale impitoyable.

Son roman plonge dans cette société hiérarchisée, où l’esclave reste au bas de l’échelle sociale et où la moindre trace de « sang noir » vous relègue à une position inférieure, même si vous êtes « octavon » — c’est-à-dire avec seulement un huitième d’ascendance africaine.

Makandal, l’ombre d’un mythe subversif

Le titre du livre fait référence à François Makandal, esclave marron et figure mythifiée de la résistance par l’empoisonnement. Bien que l’action du roman se déroule plusieurs années après sa mort (brûlé vif en 1758), son spectre hante encore les esprits. « Makandal est resté comme le modèle de l’esclave rebelle, l’empoisonneur, celui qu’il fallait à tout prix craindre et châtier », explique l’auteur.

Cette peur, aussi fantasmée que réelle, sert de toile de fond à l’intrigue : un médecin, le docteur Gouzenne, est appelé à enquêter sur des morts suspectes dans une plantation. Derrière ce fil rouge, Donnadieu explore toute la complexité de la société coloniale — esclaves, affranchis, colons, nouveaux arrivants, administrateurs — à travers un regard à la fois rationnel et empathique.

Pourquoi un médecin ? Parce que cette figure peut circuler librement entre les différentes strates de la société. « Il peut aussi bien soigner les esclaves que discuter avec les grands propriétaires. Il a ses entrées partout », souligne Donnadieu. Et surtout, il observe, analyse, soupèse, doute : un esprit des Lumières au cœur d’un monde brutal, en quête de vérité dans un univers saturé de non-dits.

Entre vérité historique et fiction engagée

Ce roman n’est pas une simple enquête policière dans un décor d’époque. C’est un roman engagé, qui vise à restituer la réalité complexe, parfois insoutenable, d’un monde colonial fondé sur l’exploitation humaine. Donnadieu assume cette dimension : « Il s’agissait pour moi de faire comprendre, sans didactisme pesant, la dureté de cette société fondée sur le profit, le racisme et l’ordre établi. »

Dans L’Ombre de Makandal, les archives prennent vie. L’auteur, rigoureux historien, va jusqu’à reprendre des formules authentiques d’actes notariés d’affranchissement. Pourtant, il reconnaît aussi les limites de la documentation : la destruction volontaire ou accidentelle de nombreuses archives coloniales empêche souvent d’avoir une vue d’ensemble. « On fait l’histoire avec ce qu’on a », dit-il sobrement.

Derrière l’intrigue captivante de L’Ombre de Makandal se dessine un objectif plus vaste : contribuer à une meilleure connaissance d’une période encore trop peu explorée par le grand public. C’est aussi un geste de mémoire, un pont entre la France et Haïti, entre passé et présent.

Donnadieu inscrit son roman dans une filiation intellectuelle et littéraire, citant par exemple Alejo Carpentier (Le Royaume de ce monde) qui avait lui aussi repris la figure de Makandal. Il s’adresse aux lecteurs curieux d’histoire, mais aussi à ceux qui cherchent une littérature engagée, accessible, et profondément humaine.

L’intégralité de l’interview en vidéo:

 

Écrit par Haïti Inter

Noter

Commentaires (0)

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués d'un * sont obligatoires

Notre application

CONTACTEZ-NOUS