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Le direct Haiti Inter, l'expérience musicale
Par Guy Ferolus
Le cinéaste haïtien Samuel Suffren fera une entrée remarquée à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes de cette année avec son film “Cœur bleu”, dernier volet de sa trilogie. Dans une interview accordée à Haïti Inter, le réalisateur revient sur l’origine de ce projet et sur un parcours marqué par l’exil, la mémoire familiale et l’engagement artistique.
“Cœur bleu” est le troisième opus d’un triptyque entamé avec “Agwe” en 2022, suivi en 2024 de “Des rêves en bateaux papiers”, présenté en compétition officielle au Festival du film de Sundance. Tous trois sont inspirés de l’histoire bouleversante de son père, qui a tenté de rejoindre les États-Unis à bord d’un kantè — ces frêles embarcations de fortune empruntées par des Haïtiens en quête d’une vie meilleure.
Le voyage de son père, profondément croyant, aura duré 28 jours en mer, dans des conditions extrêmes, avant d’être intercepté et déporté en Haïti. Pour lui, les États-Unis incarnaient un avant-goût du paradis — une promesse non tenue, une frontière jamais franchie. Il mourra sans jamais avoir foulé le sol américain.
« Mon père pensait que je devais absolument aller aux États-Unis. J’ai voulu comprendre ce rêve, ce mythe, et surtout ce qu’il laisse à ceux qui restent. »
Avec “Cœur bleu”, Samuel Suffren interroge le rapport presque mystique des Haïtiens aux États-Unis, perçus comme un eldorado, et explore les attentes de ceux qui restent, souvent dans l’angoisse et le silence.
Le parcours personnel du cinéaste est lui aussi marqué par la violence et le déracinement. Lors du mouvement Bwa Kale, Samuel Suffren a échappé de peu à un lynchage, ce qui l’a forcé à fuir sa maison, son quartier, sa ville, puis son pays. Il vit aujourd’hui en exil, avec ce sentiment constant de dépossession.
« Le pire n’est pas de vivre ailleurs mais de ne pas pouvoir rentrer chez soi », confie-t-il, soulignant la blessure profonde d’être coupé de Port-au-Prince, sa ville natale, où il dit s’être construit et où se trouvent ses repères.
Pour Samuel Suffren, être réalisateur n’est pas un luxe mais une nécessité. Il affirme sans détour : « Si je ne peux pas pratiquer mon métier de réalisateur dans un pays, tel qu’il soit, je le quitterai. »
Aujourd’hui en résidence artistique à la Cité internationale des arts à Paris, il travaille à l’adaptation cinématographique du roman “Les immortelles” de Mackendy Orcel, un autre regard sur la réalité haïtienne.
À travers ses films, Suffren donne voix aux silences, aux blessures et aux espoirs brisés de ceux qui ont été broyés par le rêve américain.
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L’interview vidéo de Samuel Suffren
Écrit par Haïti Inter
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