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Le direct Haiti Inter, l'expérience musicale
Dans le paysage culturel haïtien, la famille Denis occupe une place emblématique, tant elle incarne à elle seule une part importante du patrimoine artistique du pays. Aujourd’hui, c’est Sibylle Denis Touat qui prend la parole pour raviver cette histoire familiale unique et alerter sur l’état critique de son pays.
Tout commence en 1956, lorsqu’un mélomane passionné, Raoul Denis, s’unit à la pianiste virtuose Micheline Laudun Denis. Ensemble, ils créent La Boîte à musique, un lieu devenu légendaire, havre pour les artistes haïtiens de l’époque, foyer de création, d’échange, et de résistance culturelle. Leur progéniture perpétue cette tradition : Ti Ra, musicien du DP Express, connu aussi pour son émission culte Ribanbelle sur Télémax ; Maksaens, cinéaste ; Pascale, pianiste ; et Sibylle, musicienne, créatrice de bijoux et auteure.
Mais les secousses politiques qui n’ont cessé d’ébranler Haïti depuis le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986 jusqu’à aujourd’hui ont peu à peu démantelé ce sanctuaire culturel. Pillée à plusieurs reprises, La Boîte à musique n’existe plus que virtuellement, symbole d’un patrimoine en péril.
Installée à Paris, Sibylle Denis Touat poursuit malgré tout le combat. Elle se consacre à l’enseignement de la musique et à la mise en valeur des talents haïtiens souvent oubliés ou ignorés. Son ouvrage Haïti, créateurs de rêves, publié en 2023 en autoédition, est un hommage à l’ingéniosité de son peuple. Designers, artisans, artistes de la diaspora ou du pays, tous y trouvent leur place, tissant un lien précieux entre tradition et modernité.
« Il fallait que je fasse un livre pour mettre en lumière ce foisonnement… notre culture, c’est notre pétrole », affirme-t-elle.
Ce livre, au graphisme soigné, est aussi une œuvre collaborative. La couverture, réalisée par Claudia Aped, s’inspire des techniques traditionnelles des drapeaux vaudous, réinterprétées dans un langage résolument contemporain. Une manière pour Sibylle de célébrer un savoir-faire souvent pillé mais rarement crédité.
Mais derrière ce travail de mémoire et de transmission, le désespoir est palpable. L’interview prend vite des allures de réquisitoire contre l’état de délabrement du pays. La violence, la pauvreté, la peur ont remplacé l’espoir. Selon elle, Haïti vit actuellement la pire crise de son histoire moderne, pire même que sous Duvalier:
« Avant, la terreur était cachée. Aujourd’hui, elle est au coin de ta rue. »
Elle évoque le quotidien infernal des familles, des enfants livrés à eux-mêmes, des écoles fermées, des commerces détruits. Une jeunesse sacrifiée, recrutée par des gangs, façonnée par la misère, prise au piège d’un engrenage brutal.
« C’est un plan macabre. Ils détruisent l’école, le commerce, la famille. Ils créent la violence. »
Pour Sibylle Denis Touat, continuer à créer et transmettre n’est pas un luxe mais un acte de résistance. Comme sa mère, elle avait développé une méthode pédagogique innovante pour enseigner la musique aux enfants. Le projet fut abandonné par les autorités, sans explication, ajoutant à sa frustration.
Et pourtant, elle persiste. Malgré l’exil, malgré les obstacles, elle fait vivre la mémoire de sa famille et celle de tout un pan de la culture haïtienne. Avec lucidité, douleur, mais aussi avec une force admirable, elle rappelle que la culture n’est pas une distraction, mais le dernier bastion d’un peuple en quête de dignité.
L’intégralité de l’interview en vidéo:
Écrit par Haïti Inter
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